Komitas, gardien du répertoire arménien

Komitas, sauveur du patrimoine musical arménien
Komitas, sauveur du patrimoine musical arménien
Komitas, gardien du répertoire arménien
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Komitas, gardien du répertoire arménien

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Compositeur de "génie" pour Debussy, Komitas a passé une partie de sa vie à collecter des chants et danses traditionnels. Grâce à lui, le patrimoine musical arménien a été sauvé de l'oubli.

Génie musical, Komitas est une figure tutélaire de la culture arménienne. Survivant du génocide de 1915, c’est à lui qu’on doit la sauvegarde du patrimoine musical arménien.  

“Je m’incline devant votre génie”. C’est ainsi que Debussy s’adresse à Komitas, après une tournée triomphale en Europe, en 1906. Pourtant, Komitas ne s’est jamais considéré comme un compositeur, mais comme un collecteur.  

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Komitas naît en 1869, dans une région pauvre de l’empire ottoman.

Gérard Der Haroutiounian : "A cette époque, parler arménien est très condamnable parce qu’on leur coupait la langue. Ils étaient turcophones et avaient un seul endroit où parler arménien, où en tout cas on pouvait le chanter, c’était l’église.”

Orphelin précoce et intelligent, sa voix angélique lui permet de rentrer dans un séminaire orthodoxe arménien, bien qu’il ne parle pas la langue. À 16 ans, il a une révélation en découvrant la richesse de la musique traditionnelle arménienne : chants de travail, de labour, musique de troubadour, musique liturgique.

Un collecteur de patrimoine musical

À 25 ans, il reçoit le nom de Komitas  en référence à un compositeur arménien du VIIe siècle. Deux ans plus tard, il obtient un doctorat de musicologie à Berlin grâce à une bourse. Selon un professeur, il possède “la souplesse du ténor et la douceur du baryton” . 

À partir de 1900, il voyage en Arménie,  il observe les chants et les danses traditionnels et retranscrit tout, il se cache parfois, pour ne pas dénaturer l’authenticité des chansons.

Gérard Der Haroutiounian : "Lui-même ne se considérait pas comme un compositeur, c’est un collecteur avant tout. Il utilise quelque chose qui est remarquable pour l’époque, c’est la notation religieuse arménienne, employée également. Il va ainsi noter beaucoup plus rapidement qu’avec une portée de cinq lignes toutes les mélodies. Ce qui lui permet de noter le mode et le rythme en même temps. Cette notation lui a permis de sauvegarder plus de 2 000 pièces vocales et instrumentales.”

Il transforme ces chants ruraux, les harmonise et en fait des compositions jouées dans les salles les plus prestigieuses d’Europe.

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Gérard Der Haroutiounian : "Si on prend une mélodie qui s’appelle 'Kele kele', lui il change quelque chose à la fin. Ce saut de quarte, quatre notes plus haut, ça a un côté 'urbain', moins 'populaire'. Il apporte ce petit plus qu’il note. Il en a fait une harmonisation au piano en montant très très haut, en couvrant pratiquement tout le registre du piano. Il fallait y penser. C’est simple mais efficace. 

Mais l’utilisation de la musique religieuse à des fins profanes est mal vue par l’Eglise arménienne. Komitas prend ses distances, sans jamais renier sa foi. Il entretient un rapport mystique et ésotérique avec la musique. Sa conception des sonorités est presque synesthésique.

Arthur Aharonian, compositeur : “C’est exactement comme si je regardais un dessin de Picasso, noir sur blanc, il y a une force explosive dedans, je ne comprends pas mais je sais que c’est génial, ça me bouleverse. La musique de Komitas, elle est conçue comme l’humain."

Il s’installe près de Constantinople où vivent quelque 100 000 Arméniens. Il s’intéresse aux chants kurdes, persans et turcs et note les variations musicales entre les cultures. Faute de fonder un Conservatoire, il fonde une chorale populaire de centaines de membres qui connaît un grand succès dans l’empire ottoman.

Mais les persécutions de masse des Arméniens gagnent Constantinople.  

Le 24 avril 1915, Komitas est arrêté et emprisonné avec d’autres artistes et intellectuels. Il chante pour adoucir les peines de ses compatriotes. Il chante aussi comme un acte de résistance face aux gardiens, malgré les sévices.

Il est relâché in extremis grâce à un Turc qui apprécie sa musique et se cache dans un hôpital de Constantinople jusqu’à la fin des massacres.  

Beaucoup de ses notes et manuscrits sont détruits ou éparpillés. Profondément traumatisé par le génocide, Komitas se mure dans le silence. Après la guerre, il est interné en France. Il meurt en 1936 à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, avant d’être inhumé en Arménie.

Grâce à lui, un patrimoine musical millénaire a été sauvé de l’oubli.

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