La question de l’identité vue par Mélikah Abdelmoumen

Mélikah Abdelmoumen aborde le thème de l’identité sous plusieurs angles, dans le livre <em>Baldwin, Styron et moi</em>. Elle fait notamment ressortir ses racines saguenéennes, qui sont également celles de sa mère.

Peut-on définir une personne à partir de la couleur de sa peau, ou de son nom de famille, alors qu’on ne connaît rien de son parcours, de la société qui l’a façonnée, ni de la culture à laquelle elle s’identifie ? Les gens raisonnables diront que la réponse est non, mais puisque nous ne vivons pas à une époque raisonnable, ça prend une femme comme Mélikah Abdelmoumen pour remettre les pendules à l’heure. C’est ce qu’elle accomplit dans son plus récent livre, un essai autobiographique intitulé Baldwin, Styron et moi.


Le point de départ fut la fascination qu’elle a développée pour l’écrivain américain James Baldwin. Elle a aimé ses romans, mais aussi l’homme tourmenté par l’histoire de ce pays qui a fait de ses ancêtres des esclaves. Porteur d’une exigence plus que centenaire, celle d’un réel affranchissement pour les siens, il a noué une amitié improbable avec une autre figure majeure de la littérature, William Styron. Bien que ses ancêtres à lui possédaient des esclaves, un dialogue entre eux s’est engagé, dans les années 1960.

« Ce n’est pas une histoire facile, avec des réponses toutes faites, mais leur relation constitue un modèle. Ils ont eu raison de faire ce qu’ils ont fait. Les controverses ne changent rien à ça », énonce Mélikah Abdelmoumen en référant à la décision de Styron d’écrire au je le roman Les confessions de Nat Turner. À la suggestion de Baldwin, il s’était mis dans la peau d’un homme qui, en 1831, avait mené une révolte d’esclaves au sud des États-Unis.

Dix auteurs noirs ont accusé Styron d’appropriation culturelle, tandis que le comédien Ossie Davis s’est montré plus nuancé. Ce qui l’avait heurté, c’est le fait qu’à ce jour, aucun membre de la communauté noire n’avait donné une voix à Nat Turner. Pour lire à son sujet, il devait se procurer un best-seller écrit par un Blanc. « Nous devons reprendre le contrôle sur nos récits, notre culture, nos symboles », avait conclu Davis.

Pulvériser les préjugés

Sans porter de jugement sur les uns et les autres, Mélikah Abdelmoumen voit dans la démarche initiée par Baldwin et Styron un exemple dont nous devrions nous inspirer. « Leur histoire à eux, c’est la bonne manière de regarder le présent différemment. Nous, les écrivains, les gens de théâtre, nous avons la responsabilité d’engager une conversation sur l’appropriation culturelle », donne-t-elle en exemple. Sa façon d’ajouter une brique à l’édifice fut d’aborder le thème de l’identité en relatant son parcours.

Fille d’un immigrant tunisien qui avait marié une Saguenéenne, la future autrice est née en 1972, à l’hôpital de Chicoutimi. Elle a passé les quatre premières années de sa vie à La Baie, avant que ses parents déménagent à Montréal. Ce ne fut pas suffisant, toutefois, pour rompre les liens tissés avec sa terre d’origine. Au fil de nombreux séjours dans la famille de sa mère, dont la figure de proue était sa grand-mère Olivette Lévesque Babin, une façon de voir le monde s’est enracinée dans son âme.

Le simple fait que je puisse dire ‘‘je m’appelle Mélikah Abdelmoumen et je viens du Saguenay’’, ça pulvérise tous les préjugés, tous les clichés qu’on prête à cette région. C’est pour cette raison que mon éditeur, Rodney Saint-Éloi, a voulu que j’explique ce qu’est le Saguenay. Ce livre, c’est un hommage que je voulais rendre à ma région. On y pratique une forme d’accueil qui est naturelle, ce qui explique, entre autres, les taquineries adressées à mon chum qui vient de la France.

Cette France, elle y a vécu suffisamment longtemps pour voir la question de l’identité sous un angle différent. « Le regard de l’autre nous force à nous poser des questions qui, autrement, ne nous seraient pas venues à l’esprit, indique l’autrice. Là-bas, j’étais identifiée soit comme une Québécoise en raison de mon accent, soit comme une Arabe, ce qui est horrible dans un pays arabophobe. » Trop souvent, ses traits hérités de la branche paternelle ont suffi pour la définir.

Une poupée russe

L’ironie est qu’à son retour au Québec, où elle souhaitait se fondre dans le cocon affectif qui l’enveloppait depuis l’enfance, une autre réalité s’est superposée, un brin troublante. Elle qui se sentait Saguenéenne, Québécoise, sans égard à la couleur de sa peau, est devenue une auteure de la diversité. « Je ne me sentais plus chez nous de la même façon, confie Mélikah Abdelmoumen. Par contre, on m’a nommée rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises. Dix ans plus tôt, je ne sais pas si ce serait arrivé. »

William Styron

Pour revenir au livre, il tient un peu de la poupée russe, eu égard à sa genèse. Tout a commencé avec un texte sur Baldwin publié dans le magazine Spirale, suivi par un projet théâtral auquel a succédé l’essai autobiographique que ses amis Frédéric Pierre et Émile Proulx-Cloutier appelaient de leurs vœux. Ils voulaient tout, Baldwin, Styron et aussi Mélikah Abdelmoumen, cette femme qui refuse d’être réduite à un nom ou à la couleur de sa peau.

Publié chez Mémoire d’encrier, Baldwin, Styron et moi cache lui-même une autre poupée russe, puisqu’il fera l’objet d’une lecture-spectacle à la fin de mai, au Lac-Brome. Quant à l’autrice, elle reprendra la plume afin de rendre hommage à Olivette Lévesque Babin, sa grand-mère qui, malgré qu’elle soit devenue veuve avec 14 enfants, a ouvert une maison pour femmes battues, est devenue la première conseillère municipale de sa région, en plus d’écrire le livre Mâture, Voilure et Souvenance.

« Si je n’avais pas eu cette grand-mère, je ne serais pas la femme que je suis », résume Mélikah Abdelmoumen.

James Baldwin