Accéder au contenu principal
Le grand invité Afrique

Guillaume Soto-Mayor: «L’État islamique au Sahel crée une nouvelle génération de combattants»

Publié le :

Les chercheurs malien Boubacar Ba et français Guillaume Soto-Mayor, spécialistes des mouvements jihadistes au Sahel, ont publié le mois dernier (novembre 2023) une étude intitulée « Guerre générationnelle au Sahel : les lionceaux du califat et la dynamique d’insurrection violente au sein de la province de l’État islamique au Sahel ». Une étude réalisée pour le CRTG Working Group, organisation de recherche spécialisée sur le recrutement des enfants soldats à travers le monde. Conduite entre mars et octobre dernier, cette étude révèle notamment l’utilisation par les jihadistes de l’EIS d’enfants et d’adolescents. Comment sont-ils recrutés ? Quel sort leur est-il réservé ? Plus globalement, quelle stratégie pour l’EIS dans cette période de reconfiguration des conflits au Sahel ? Guillaume Soto-Mayor est l’invité Afrique matin de David Baché.  

Le Sahel est devenu, ces dernières années, le bastion de nombreux rebelles islamistes. (Image d'illustration)
Le Sahel est devenu, ces dernières années, le bastion de nombreux rebelles islamistes. (Image d'illustration) Reuters
Publicité

RFI : Votre étude est fondée sur les communications officielles de l’État islamique au Sahel (EIS)–écrites, audio ou vidéo–et surtout, sur des dizaines d’entretiens avec des anciens enfants soldats, des recruteurs, des cadres dirigeants de l’État islamique. C’est assez exceptionnel. Comment avez-vous eu accès à eux ?

Guillaume Soto-Mayor : Nous avons eu accès, avec Boubacar Ba, à ces différentes personnes via des intermédiaires du Gourma, de la région de Ménaka ou du Nord du Burkina Faso, originaires des mêmes régions que ces différents combattants avec lesquels nous avons donc pu entrer en contact et qui nous permettent d’avoir des témoignages reflétant véritablement la vision interne de l’État islamique au Sahel.

Vous décrivez l’État islamique au Sahel comme principale force de gouvernance sur un vaste territoire, allant de la région de Tillabéri au Niger à celles de Ménaka et Gao au Mali, avec des centaines de villages sous leur domination. Concrètement, pour les habitants, cela veut dire quoi ? Au quotidien ?

La première chose, c’est évidemment un projet de société, qui leur est imposé, d’une extrême violence, avec une vision absolutiste du monde, une vision de l’État islamique assez classique, comme on a pu le voir en Syrie ou en Irak. De l’autre côté, c’est aussi une offre d’encadrement des jeunes, c’est une offre également de régulation des flux transhumants, c’est une offre de gouvernance des différents territoires sur lesquels ils sont présents.

Vous écrivez aussi : « La population vit dans la peur constante d’être qualifiée de traître ou d’informateur »…

Tout à fait, c’est cette dimension totalisante : « Vous êtes avec nous ou contre nous », il n’y a aucun entre-deux. Donc effectivement, il y a une pression constante sur les populations de contribuer à l’effort de guerre, de montrer une validation de la manière de faire de l’État islamique et de ses règles.

Vous décrivez le rôle central des enfants dans la stratégie de l’État islamique au Sahel qui compterait, c’est ce que l’on apprend dans votre étude, plusieurs centaines d’enfants et d’adolescents dans ses rangs ?

Oui, c’est ce que notre étude révèle ,effectivement. Ce sont des enfants qui, il faut le rappeler, sont victimes véritablement de l’endoctrinement, de la manipulation, quelques fois du recrutement forcé, des kidnappings de l’État islamique. Il y a un nombre très important d’enfants actuellement présents dans des markaz, dans des centres d’enseignement contrôlés, ou proches del’État islamique au Sahel.

Ces enfants, ils viennent d’où? Ils sont recrutés comment ?

Ces enfants viennent à la fois de différentes régions de présence de l’État islamique, mais viennent également d’au-delà, de différentes régions du Niger, ils viennent de plusieurs régions du Nord duBurkina Faso ou du Mali. Il y a une tradition de kidnappings, de recrutements forcés de l’État islamique et de recrutements, quelques fois, qui se font également par l’attrait financier et par l’encadrement proposé ou la sécurisation proposée par l’État islamique.

Vous avez parlé des markaz, les centres d’apprentissage. En quoi consiste l’enseignement qui est dispensé à ces enfants ?

Ces enfants apprennent à la fois les différentes sciences islamiques – la sunna, la charia, l’histoire et la vie du prophète et de ses compagnons – et ils apprennent également à remplir différents rôles en soutien aux actions de l’État islamique au Sahel, facilitant leurs opérations. Ils peuvent être à la fois différents aides ménagers, des cuisiniers, ils peuvent apprendre différentes techniques de renseignement, de combat, de propagande, et donc ils pourront être utilisés par le groupe dans le quotidien.

Pourtant, parmi ceux qui combattent l’État islamique au Sahel–les groupes armés locaux comme le MSA, les armées nationales malienne, nigérienne, burkinabè, ou auparavant l’armée française–aucun n’a spécialement indiqué la présence, face à eux, d’enfants ?

Il y a eu l’attaque de Solhan, au Burkina Faso en 2021,dans laquelle à la fois l’armée burkinabè et puis à l’époque les Nations unies, avaient dénoncé la présence en très grand nombre d’enfants. Il y a ici peut-être une problématique autour de la définition de ce que sont des enfants : un jeune adolescent est parfois appelé un jeune adulte alors qu’en réalité, il est encore un enfant. Ce sont donc des victimes qui sont particulièrement vulnérables à l’endoctrinement de l’État islamique, et qui constituent donc une potentielle génération future au service de l’État islamique et de ses ambitions pour la région.

Dans la même logique, vous avez aussi recueilli des témoignages sur la politique des mariages forcés…

Oui, absolument. Il y a une logique ici de l’État islamique d’ancrage dans différents territoires, d’utilisation des femmes comme esclaves sexuelles, quelques fois comme esclaves tout court. Les familles de ces jeunes femmes reçoivent très souvent des pressions très importantes, des menaces de mort répétées de la part de l’État islamique, pour offrir leurs jeunes filles à des combattants et qu’elles remplissent leur supposé devoir de venir mettre au monde une nouvelle génération de combattants. Ces femmes, ces jeunes filles, doivent également être protégées de toute urgence.

La rivalité entre le groupe État islamique et Al Qaeda est féroce, dans le monde, y compris au Sahel. Après la prise par l’armée malienne et Wagner, le mois dernier, de Kidal, qui était jusqu’ici tenue par les rebelles du CSP, et avec cette nouvelle Alliance des États du Sahel Mali-Niger-Burkina, est-ce que les deux rivaux, Aqmi et l’EIS, pourraient, par opportunité, se rapprocher ? 

C’est ce qu’il semble déjà se passer. Il y a une accalmie constatée par tous les acteurs sur le terrain qui semble indiquer une intention réciproque de concentrer les efforts sur les armées malienne, nigérienne ou burkinabè. Effectivement, l’affrontement des deux groupes les affaiblissait,et il semble qu’ils aient pour l’instant trouvé opportun de négocier une trêve ou, en tout cas, une forme de cessez-le-feu déjà actif.

Iyad Ag Ghaly, dans sa dernière vidéo diffusée le 12 décembre dernier, lance un appel à la mobilisation dans toute la région, mais il ne s’adresse pas directement, pas nommément, à l’EIS…

Absolument. Il n’y aura pas, à mon sens, d’alliance de long terme entre les deux groupes. Il y a une trêve de circonstance, qui est due à la présence d’ennemis communs, à la fois des armées du Sahel et du groupe paramilitaire Wagner. Pour l’instant, il y a une convergence d’intérêts à ne pas perdre de ressources financières ou militaires dans un combat entre groupes jihadistes. Mais l’adresse d’Iyad Ag Ghalyse fait aux populations locales, elle ne se fait pas à l’État islamique pour qu’il rejoigne le Jnim d’une quelconque manière que ce soit.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.