Un drone Bayraktar TB2 lors du Teknofest 2021, le festival de l'aviation, de l'espace et de la technologie, à l'aéroport Ataturk d'Istanbul, en Turquie, le 21 septembre 2021.

Un drone Bayraktar TB2 lors du Teknofest 2021, le festival de l'aviation, de l'espace et de la technologie, à l'aéroport Ataturk d'Istanbul, en Turquie, le 21 septembre 2021.

Anadolu Agency via AFP

Un chant patriotique leur a même été consacré. Les drones armés Bayraktar TB2 se sont imposés depuis le début de l'offensive en février comme l'une des armes les plus redoutables de l'armée ukrainienne face à l'envahisseur russe. Et pour cause, cet engin fabriqué en Turquie, de 12 mètres d'envergure et pesant 650 kilos, peut voler à une altitude de 6 800 mètres jusqu'à 24 heures consécutives à plus de 220 km/h. Ses compétences : transport de quatre missiles, reconnaissance, frappe de cibles... Des capacités multiples qui font de cette arme, fleuron de l'industrie turque, un symbole de la résistance ukrainienne mais aussi de la guerre moderne 2.0.

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Ces appareils auraient permis aux Ukrainiens de détruire deux bateaux russes de classe Raptor ce lundi 2 mai. Une opération appuyée par des images communiquées sur Facebook par le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Valeri Zaloujny et jugée crédible par Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française à l'ONU : "Les patrouilleurs sont des bâtiments de petite taille, entre 15 et 17 mètres de long, qui circulent généralement non loin des rives. Ils sont donc tout à fait atteignables par ces drones." On dit aussi que ces drones Bayraktar ont joué un rôle dans la disparition du croiseur russe Moskva qui a coulé en Mer noire le 15 avril. "Davantage cette fois-ci pour recueillir des informations sur le navire, que pour lancer les missiles, complète le spécialiste. Les missiles du TB2 sont trop légers pour couler un bateau de ce type."

"Cette arme peut changer le cours d'une opération"

L'armée ukrainienne en possèderait environ une vingtaine. "Cette arme est véritablement la star des drones turcs, analyse Pierre Servent, spécialiste des questions de défense et de stratégie militaire. Avec sa grande puissance de feu et sa large souplesse, elle peut changer le cours d'une opération." Il rappelle son rôle clé lors des guerres en Syrie, en Libye, et entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh. "Elle se vend dans le monde entier", poursuit-il. Il faut dire aussi que son prix défie toute concurrence : "Un Bayraktar TB2 est à quatre à cinq fois moins cher qu'un drone armé américain (moins de deux millions de dollars, NDLR)", évalue le général Dominique Trinquand.

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L'entreprise turque Baykar Makina vend l'arme depuis 2014. Elle est dirigée par Selçuk Bayraktar, également gendre du président Recep Tayyip Erdogan. Ces livraisons de drones peuvent-elles remettre en cause la position d'équilibriste que joue la Turquie entre la Russie et l'Ukraine depuis le début du conflit ? Pour le général Dominique Trinquand, ce n'est pas la question.

Infographie 3684 Monde Turquie Drone Bayraktar Ukraine

Le Bayraktar, "star des drones turcs"

© / Dario Ingiusto / L'Express

"La Turquie, et le président Erdogan lui-même, font toujours selon leurs propres intérêts, tranche-t-il. On est à treize mois d'une élection présidentielle. Erdogan ne va donc pas dire non face à une possibilité de renflouer l'économie nationale." Il rappelle par ailleurs pourquoi la Turquie conserve son rôle d'intermédiaire privilégié entre les deux pays : "En tant que membre de l'Otan et garante des accords de Montreux, elle se doit d'afficher son soutien à l'Ukraine. Elle conserve toutefois certaines latitudes en refusant d'appliquer les sanctions occidentales contre la Russie et ses oligarques."

Complémentarité des drones

Sur ce point, il est intéressant de souligner, rappelle Pierre Servent, que la Turquie et l'Ukraine avaient annoncé courant 2021 l'installation prochaine d'une usine de drones Bayraktar en Ukraine. "On l'oublie, mais l'Ukraine bénéficie aussi d'un savoir-faire en matière d'aéronautique, explique-t-il. Il lui a été hérité de l'Union soviétique." Selon lui, cela démontre bien que Kiev et Istanbul étaient en train de se rapprocher. "Cela a joué en partie un rôle dans la décision de Vladimir Poutine d'entrer en guerre. Car avec ce type d'armement, les Ukrainiens auraient pu reprendre à terme totalement la région du Donbass", affirme-t-il.

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Justement aujourd'hui, ces drones peuvent-ils permettre aux Ukrainiens de prendre l'avantage dans le Donbass, là où se concentre aujourd'hui l'essentiel des conflits ? Non, selon les deux experts. Même s'ils rappellent chacun de leur côté la force symbolique qu'entretient ce type d'engin comparé à l'image de l'armée russe, elle est davantage figée dans le XXe siècle. "C'est davantage la multiplicité et la complémentarité des drones qui fera la différence à terme", résume Dominique Trinquand. Tous deux misent par ailleurs aujourd'hui sur les drones américains kamikazes Switchblade. Plus petites, plus légères, ces bombes fonctionnent en essaim. Elles sont donc plus difficiles à cibler et peuvent faire beaucoup de dégâts.

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