Infecter volontairement des jeunes?

Q: «Considérant le risque minime pour les jeunes en santé que représente la COVID-19, ne serait-ce pas une bonne idée de leur offrir de se faire inoculer le virus volontairement?», demande Guillaume Fillion, de Québec.


R: Le virus semble en effet peu dangereux pour les jeunes, pour ce qu’on en sait jusqu’à présent. Au Québec, même si les moins de 30 ans représentent 14 % des 20 126 cas confirmés (en date du 20 avril), aucun décès n’est survenu dans cette tranche d’âge. Une étude, publiée fin mars dans The Lancet Infectious Diseases sur plus de 50 000 cas confirmés en Chine, a estimé le taux de mortalité parmi ces cas à 0,19 % chez les 20-29 ans (7 morts sur 3619 cas) et théorisé, par une méthode restant à valider, que le pourcentage de mortalité réel tenant compte des infections non diagnostiquées pourrait être de 0,03 % dans cette tranche d’âge. Ce risque de mortalité est à peu près équivalent à celui que courent les gens qui donnent un rein, preuve qu’il est socialement acceptable, à condition que le bénéfice – sauver la vie de quelqu’un - soit majeur.

Pour évaluer la dangerosité de la COVID-19, on doit aussi tenir compte des cas graves qui pourraient laisser des séquelles. Or pour l’instant, aucune étude n’a compilé le nombre de cas sévères parmi les jeunes adultes (il y a des études chez les enfants, ou bien chez les moins de 50 ans, mais pas spécifiquement sur les 20-30 ou 20-40 ans par exemple) et les études sur les séquelles sont à peu près inexistantes. Bref, faute de recul dans le temps, tout ceci est encore extrêmement incertain. 

Même si le virus semble a priori peu dangereux pour les jeunes, cette incertitude constitue un très grand risque qu’il faudrait pouvoir balancer par un très grand bénéfice pour qu’elle soit éventuellement acceptable.

Pour l’instant, on ne sait pas vraiment si les personnes ayant été infectées sont immunisées contre la maladie, ni pour combien de temps, et on ne peut pas le vérifier parce que les tests sérologiques permettant de détecter les anticorps ne sont pas complètement au point. Il n’y a donc aucun bénéfice personnel avéré à avoir été infecté. On ne peut pas se dire, comme nous l’ont suggéré des lecteurs, qu’il y aurait un avantage à ce que des jeunes déjà infectés et guéris aillent travailler comme renforts dans le système de santé : ne sachant pas à quel point ils sont encore sensibles au virus, ils devraient de toute façon appliquer les mêmes règles de sécurité que des personnes qui n’ont jamais eu la COVID-19.

Par contre, des jeunes volontaires pourraient être très utiles en faisant gagner de précieux mois dans le développement de vaccins, s’ils participaient à ce qu’on appelle des « essais de challenge humain ». Fin mars, le bioéthicien américain Nir Eyal et deux épidémiologistes ont été les premiers à proposer un protocole à suivre pour un tel essai, lançant ainsi le débat.

Voici comment ça fonctionnerait. Pour développer un vaccin, normalement, les essais chez les humains passent par plusieurs phases : en phase 1, on vérifie que le vaccin candidat n’est pas toxique, en phase 2 on regarde à quelle dose il a un effet protecteur, et en phase 3 à quel point il est efficace. Pour cette dernière phase avant une éventuelle approbation, on réunit quelques dizaines de milliers de personnes qu’on sépare en deux groupes en tous points comparables. On donne le vaccin à l’essai au premier groupe, un placebo au second, et on attend de voir si le groupe vacciné compte moins de gens infectés au bout d’un certain temps. Ce temps d’attente joue pour beaucoup dans la durée de développement des vaccins.

C’est là que des jeunes volontaires en santé pourraient être mobilisés puisque, plutôt que d’attendre qu’ils attrapent éventuellement le virus, on pourrait choisir de le leur inoculer, une fois qu’ils auront reçu le vaccin candidat. De cette manière, on pourrait savoir plus rapidement si celui-ci est efficace, et le temps ainsi gagné pourrait potentiellement sauver des vies. Le bénéfice doit être calculé en tenant compte du temps que fait vraiment gagner cette approche, de la validité du résultat de l’expérience par rapport à un essai classique, et du nombre de décès potentiels qu’elle pourrait éviter.

De tels essais de challenge humain ont déjà été réalisés dans les décennies passées pour plusieurs infections qui sont très rarement fatales chez les gens ayant participé aux essais, comme la malaria, la dengue ou le choléra. Le risque a été jugé acceptable compte tenu des bénéfices potentiels. Cette stratégie avait aussi été envisagée aux États-Unis pour tester un vaccin contre le Zika, mais le manque de connaissance sur le virus avait amené les autorités à refuser.

On ne sait pas encore ce que penseront les autorités  réglementaires d’éventuels essais de challenge humain de vaccins candidats contre la COVID-19, mais le débat est lancé. Déjà, aux États-Unis, 1700 personnes ont répandu à l’appel à tous lancé par l’organisme 1DaySooner, mis sur pied pour constituer une réserve de volontaires au cas où cette option soit retenue.

Pour l’instant, des essais cliniques de phase 1 ont débuté sur trois vaccins candidats et un quatrième s’est ajouté cette semaine. Des premiers résultats sont attendus d’ici au début de l’été. 

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