Pourquoi les courbes stagnent-elles au Québec au lieu de reculer?

Les politiques de dépistage de la COVID-19 ont changé plusieurs fois au fil des semaines au Québec.

Q: «Cela fait maintenant des semaines que les frontières sont fermées et que la population est en confinement, mais on annonce toujours plusieurs centaines de nouveaux cas de COVID-19 chaque jour au Québec. Comment l’expliquer? Les gens ne respectent pas les règles de distanciation? Sont-ce surtout les travailleurs de la santé qui propagent la maladie? Un mélange des deux?» demande Normand Gagné, de Québec.


R: Il est difficile de se faire une idée précise de l’évolution de l’épidémie au Québec en regardant uniquement le nombre quotidien de nouveaux cas. Si l’on avait toujours fait le dépistage de la même façon, ce serait un indicateur utile, mais les politiques de dépistage de la COVID-19 ont changé plusieurs fois au fil des semaines : elles ont d’abord visé les voyageurs pour ensuite se tourner vers la «transmission communautaire» (les gens qui attrapent la maladie ici au lieu de la ramener de l’étranger). Et depuis le 1er mai, les ressources sont concentrées vers les régions les plus touchées, auxquelles sont réservés 80 % des tests disponibles.

Alors si on fait de plus en plus de tests quotidiennement et qu’on les dirige davantage vers les secteurs «chauds», on doit s’attendre à trouver plus de cas — mais cela ne signifie pas forcément que le coronavirus gagne du terrain.

C’est en partie pour cette raison que le nombre des hospitalisations causées par la COVID-19 est considéré comme un indicateur plus intéressant : parce qu’avoir été testé ou non ne change rien au fait qu’une personne vraiment mal en point va se rendre à l’hôpital.

Or à cet égard, il semble que le Québec soit parvenu à «aplatir la courbe», comme on dit, mais que le nombre d’hospitalisations stagne. Depuis le 15 mai, on compte entre 1700 et 1800 personnes hospitalisées à cause du coronavirus, un nombre comparable à celui du début mai. On a vu un peu la même chose avec le nombre de gens aux soins intensifs : il tourne autour de 180 depuis quelques jours, ce qui est une baisse comparé au pic de 200 à 220 d’avant, mais ce nombre était resté au-dessus de 200 pendant presque tout le mois d’avril et le début de mai.

Cela contraste avec la situation dans d’autres pays, où le pic a été rapidement atteint, puis a été suivi par une diminution constante du nombre de personnes hospitalisées à cause de la COVID-19. Par exemple, voit-on dans des données compilées par l’épidémiologiste finlandais Markku Peltonen, au Danemark le nombre d’hospitalisations liées à la COVID-19 est rapidement passé de 5 par million d’habitants (20 mars) à 25/million (2 avril), mais sitôt le maximum atteint, les hospitalisations se sont mises à reculer (elles sont maintenant de retour à 5/million). Il n’y a pas eu de long plateau comme ici — et la même chose vaut pour les autres pays du nord de l’Europe étudiés par M. Peltonen.

Alors que s’est-il passé de particulier ici? «C’est une très, très bonne question, dit DAlex Carignan, infectiologue au CIUSSS de l’Estrie et chercheur à l’Université de Sherbrooke. C’est sûr qu’à Montréal, il y a une transmission communautaire plus importante et dont on a de la misère à se débarrasser. Mais j’ai aussi l’impression qu’à la base, il y a eu une sorte d’amplification qui est passée sous silence au Québec. Je pense qu’on a concentré les tests sur les retours de voyage pendant longtemps et que pendant ce temps-là, on a eu une transmission communautaire sur laquelle il n’y avait pas ou peu d’enquêtes.»

Le «plateau» que le Québec a traversé pendant des semaines vient donc peut-être, en partie, du fait qu’on a mis du temps à prendre toute la mesure de l’épidémie.

En outre, ajoute DCarignan, les données d’hospitalisation sont un brin trompeuses au Québec «parce qu’elles présentent le nombre total de patients à l’hôpital une journée donnée, pas le nombre de nouveaux patients admis cette journée-là. Ce total-là dépend non seulement des nouveaux patients qui arrivent, mais aussi de ceux qui sortent, et c’est un aspect qui a été problématique. On a eu des CHSLD et des résidences pour personnes âgées qui avaient transféré des patients en hôpital et qui, quand ces gens-là étaient guéris, ne voulaient pas les reprendre parce qu’ils avaient peur de la contagion. Alors on a dû garder des gens bien portants à l’hôpital parce qu’on ne pouvait les envoyer nulle part.»

Cette situation s’est en bonne partie résorbée depuis, dit Dr Carignan, quand des ressources d’hébergement temporaire ont été ouvertes pour cette clientèle-là, mais cela a pu garder les chiffres d’hospitalisations artificiellement élevés pendant un certain temps.

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